Jusqu’à tout récemment, les tribunaux n’avaient pas eu l’occasion de se pencher sur les diverses questions soulevées par les politiques de vaccination obligatoire au Québec, sujet d’importance pour plusieurs employeurs. Or, deux décisions récentes nous apportent un peu de clarté. 


 

Demande de preuve de vaccination provenant d’un tiers

Dans la première décision1, plusieurs employeurs effectuant de l’entretien ménager pour une panoplie de clients avaient été informés par certains de leurs clients de leur intention prochaine d’exiger que tous les salariés affectés à leurs édifices soient adéquatement vaccinés. L’arbitre Denis Nadeau devait donc trancher les questions suivantes :

  • le droit des employeurs de recueillir un renseignement personnel relatif au statut vaccinal auprès de leurs salariés en raison des exigences posées par certains de leurs clients; et
  • l’impact sur les salariés qui ne pourraient attester leur statut vaccinal en raison de leur refus d’être adéquatement vaccinés à la lumière de la convention collective applicable. Notons que les parties avaient convenu d’exclure les situations où le refus du salarié de se faire vacciner reposait sur des considérations religieuses ou sur un handicap.

Deux constats scientifiques centraux avaient été admis par toutes les parties au dossier : comparativement à un salarié vacciné, un salarié non vacciné qui contracte la COVID-19 est susceptible de subir les conséquences les plus graves de la COVID-19 et, ayant une charge virale plus élevée, est plus susceptible de transmettre le virus. 

Quant à la première question, l’arbitre estime que, bien que l’obligation de dévoiler son statut vaccinal constitue une atteinte au droit à la vie privée et possiblement à l’intégrité physique des salariés concernés, celle-ci est justifiée au sens de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte). Après une analyse détaillée, l’arbitre souligne qu’une telle atteinte est « “sans conséquence en comparaison des inconvénients majeurs”, et reconnus par les “constats scientifiques actuels”, provenant de la présence de personnes non vaccinées en milieu de travail » (para 77). Selon lui, les clients et, par le fait même, les employeurs, qui endossent les objectifs de ces derniers, sont justifiés d’exiger une telle preuve, notamment en raison des obligations à l’égard de la santé et de la sécurité des travailleurs que leur imposent la Loi sur la santé et la sécurité au travail, le Code civil du Québec et la Charte

Encadrant ce droit de recueillir le statut vaccinal des employés, l’arbitre estime que les employeurs ne sont justifiés de le faire qu’à l’égard des employés affectés à un édifice pour lequel un client a formulé cette exigence. Il précise également que ces renseignements, sous forme de VaxiCode ou encore sous forme papier, devraient être recueillis par des représentants des ressources humaines plutôt que par les supérieurs hiérarchiques des salariés. Enfin, les employeurs sont invités par l’arbitre à éviter de transmettre une liste nominative du statut vaccinal de leurs employés à leurs clients, ceux-ci devant se satisfaire de la déclaration des employeurs selon laquelle tous les employés affectés à leurs immeubles sont adéquatement vaccinés.

Quant à la deuxième question, l’arbitre souligne qu’à la lumière de la convention collective unissant les parties, les employés réfractaires à l’obligation vaccinale devraient faire l’objet de transferts administratifs auprès de clients ne formulant pas cette exigence, plutôt que d’être mis à pied. Il précise toutefois que si tous les clients des employeurs formulaient cette exigence, les salariés non vaccinés ne pourraient être transférés et, en raison du manque de travail en découlant, se retrouveraient légitimement mis à pied.

Distinction entre vaccination obligatoire et vaccination forcée

Dans la deuxième décision2, la Cour supérieure a débouté la demande de sursis d’application du décret gouvernemental exigeant des intervenants de la santé et des services sociaux de fournir une preuve de double vaccination sous peine de suspension sans solde, et ce, bien que le gouvernement ait déjà annoncé ne plus avoir l’intention de l’exiger. Notons que cette décision porte sur un contexte très spécifique et que la Cour n’avait qu’une preuve limitée au stade de la demande de sursis. Toutefois, nous retenons certains points de la décision : 

  • Contrairement à la Loi sur la protection de la santé publique, qui permet la vaccination forcée en cas de situation d’urgence sanitaire, le décret ne forçait pas les intervenants de la santé et des services sociaux à se faire vacciner contre leur gré. L’inviolabilité de leur personne demeurait donc intacte et, sans la preuve d’une double vaccination, les intervenants auraient plutôt été suspendus sans solde. Au stade du sursis, cela ne satisfait pas le critère de préjudice irréparable.
  • Au stade de la demande de sursis, la présomption est que le gouvernement a adopté le décret en toute légalité et dans l’intérêt du public et les demandeurs n’ont pas pu renverser cette présomption. La Cour précise que, bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec la mesure prise par le gouvernement en vertu du décret, il ne revient pas au tribunal, autant à cette étape que sur le fond, de substituer son opinion à celle du gouvernement. Ce sera aux électeurs de juger de l’opportunité des décisions prises par le gouvernement pour répondre à la situation sanitaire d’urgence. 

Conclusion

Dans les prochains mois, nous verrons vraisemblablement de plus en plus de décisions portant sur la vaccination obligatoire et les demandes de collecte de renseignements personnels en milieu de travail. Comme le démontrent ces deux décisions, les décideurs au Québec auront à examiner une preuve abondante et seront confrontés aux droits et aux obligations de tous les intervenants, y compris les obligations des employeurs en matière de protection de la santé et de la sécurité de leurs employés. Si la tendance se maintient, nous pouvons espérer des décisions claires qui confirmeront le droit de l’employeur d’exiger la vaccination.

Nous vous invitons à prendre connaissance de notre actualité juridique portant sur trois récentes décisions arbitrales ontariennes ayant étudié la validité de politiques de vaccination obligatoire à la lumière des conventions collectives applicables.


Notes

1   Union des employés et employées de service, section locale 800 c Services ménagers Roy ltée., 2021 CanLII 114756 (QC SAT). 

2   Lachance c Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4721 (CanLII). 



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